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Bonne lecture !
Retrouver un auteur après un moment d’absence c’est un peu comme retourner dans un restaurant où on réserve les yeux fermés. On sait qu’on aime la cuisine, on sait qu’en ouvrant la carte, on aura déjà l’eau à la bouche. On parle de “valeur sûre” mais on espère découvrir de nouvelles saveurs. Je lis beaucoup plus que je ne vais au restaurant mais lorsque j’affectionne la plume d’un écrivain, c’est en général un argument suffisant pour que je sélectionne son nouveau livre dans mes prochaines lectures. Et c’est ce qui s’est passé avec Peter Heller et son dernier roman La pommeraie.
J’ai “rencontré “ sur papier Peter Heller avec son roman Le guide. Parfois la couverture d’un livre attire plus qu’un autre : je ne pense pas que c’est en voyant un poisson au bout d’une canne pêche, que je me suis dit à l’époque c’est LE bouquin qu’il me faut là tout de suite. J’avais entendu parler de Peter Heller, en bien, même en très bien, par une libraire et j’ai mordu à l’hameçon dès les premières pages. Comme je l’écrivais sur le blog à l’époque, le talent d’un écrivain est de rendre un sujet, à priori très loin de votre univers ,(dans le cas du guide, la pêche), captivant. La petite musique de Peter Heller m’a tant envouté que par la suite j’ai lu (avec le même plaisir), La rivière et Céline.



Il me reste encore deux titres de cet auteur à découvrir mais je préfère les garder “en réserve” (quand je pense que j’ai tout lu de Stefansson, je trouve ça triste !)


En dehors de la maison d’édition, un élément reste constant à chaque nouveau titre de Peter Heller, sa traductrice, Céline Leroy. En plus de 15 ans, elle a notamment traduit Laura Kasischke (lisez tout d’elle !), Jeanette Winterson, Rachel Cusk, Atticus Lish, Rebecca Solnit, Karl Geary, Jen Beagin, Renata Adler, Renee Gladman, Maggie Nelson, et Deborah Levy.
Pour moi, la traduction n’est pas le lieu du mystère, parce que, dans la pratique, le texte au quotidien devient extrêmement concret. La traduction n’est pas un artisanat, c’est une pratique artistique, un art de l’interprétation, au même titre que les acteurs, ou les musiciens de musique classique. La seule différence est que notre scène se trouve chez nous et qu’on ne nous voit pas en performance. La traduction est une performance qui s’étale sur des semaines, voire des mois, qui implique un effort physique et intellectuel. (Céline Leroy)
Allez je vous l’avoue : je suis fascinée par les traductrices et les traducteurs. Peut-être pour le côté coulisses (n’est ce pas dur d’être toujours dans l’ombre de celle ou celui qu’on traduit ?), probablement pour leur extraordinaire métier qui leur demande de se mettre dans la tête et l’univers d’un autre pour en saisir toutes les nuances.
D’ailleurs lors d’une rencontre organisée par ma librairie de quartier avec Peter Heller, alors que je suis en règle générale une timide silencieuse, j’ai posé une question à l’auteur américain (in english please) sur la façon dont il avait travaillé avec sa traductrice, le roman Le guide comprenant pas mal de vocabulaire technique lié à la pêche. Peter (laissez-moi l’appeler par son petit nom, on est entre nous) m’avait répondu qu’ils échangeaient régulièrement au téléphone et qu’ils travaillaient ensemble depuis des années. J’aime à croire que ce sont les voix mêlées poétiques de Peter Heller et Cécile Leroy que j’entends lorsque je commence à me plonger dans un de leurs livres.
La pommeraie
Ce soir le parfum des fleurs de pommier
et le murmure du ruisseau
se faufilent par la fenêtre ouverte
comme autrefois nous parvenait le son de dix cordes.
Notre fille dort malgré le vacarme au fond de mon coeur.
Quand tu es parti sur ton cheval, l’enfance ne nous avait pas
encore vraiment quittés.
J’ai compté les mois à l’aide de la lune
m’arrondissant comme elle, prenant la courbure d’un éventail.
Tous les soirs je me tenais au portail.
Le vent venait de l’ouest, mais ne portait jamais de tes nouvelles.
Notre fille a désormais cinq ans et nous vivons loin de la capitale.
Je prie pour que la guerre t’ait épargné,
que tu aies simplement décidé que tu ne m’aimais plus.
La mort est définitive
En vie tu pourrais un jour changer d’avis,
Et quelqu’un pourrait te dire où nous trouver
à Xinxiang dans le bleu des collines au dessus de la rivière.
Lorsque j’ai ouvert La pommeraie, au bout de deux ou trois pages, je suis tombée sur ce poème de Li Xue (en cherchant j’ai trouvé une Lin Xue poétesse, peintre entre autres pendant la dynastie Ming, je suppose que Peter Heller s’est inspiré d’elle). Ce poème est intitulé La pommeraie.
Et c’est justement au milieu d’une pommeraie (quasi à l’abandon) que l’histoire racontée par Fryth, 6 ans commence lorsqu’elle s’installe avec sa mère dans une cabane au pied des montagnes du Vermont avec leur chien Gus. Habituellement je n’aime pas du tout les histoires racontées à hauteur d’enfant, je n’ai pas tenu plus de quelques pages du grand classique de Romain Gary, La vie devant soi pour cette raison…sauf qu’ici je n’ai pas ressenti cette naïveté forcée. Ce point de vue narratif n’est pas fortuit, il permet à l’écrivain d’adopter un regard émerveillé (mais pas niais) et comme vierge de désillusions. Fryth est aussi une petite fille très sensible et à travers ses yeux, tous nos sens sont en éveil.
C’est ce qui fait la beauté de la jeunesse, ce temps où le monde est essentiellement malléable, où les petits événements peuvent devenir grands et les grands disparaître.
Comme dans les autres romans de Peter Heller, la nature est très présente (j’ai du chercher, entre autres, ce qu’étaient les sitelles, le tyran quiquivi, les asters, les pois bleus ou les castilleja).





Mais comme dirait Olivier Gallmeister “un roman qui ne parle que de nature ne m’intéresse pas”. Peter Heller est classé dans le genre “nature writing” mais le cœur du roman ce sont ses personnages, cette relation si forte entre cette mère et sa fille et le personnage de Rose qui va rentrer dans leur vie.
Le récit alterne deux voix : celle de Frith lorsqu’elle est enfant et celle de Frith alors qu’elle a 34 ans. Cette construction en écho parfois au sein d’un même chapitre est une des forces du livre. Un matin, par exemple, Frith trouve sa mère en train de pleurer sur la véranda de leur cabane. Elle apprend que son père, qu’elle n’a quasi pas connu, vient de mourir. Le chapitre esquisse un parallèle avec Li Xue (la poétesse dont je vous ai parlé plus haut et qui est traduite par la mère de Frith) qui a perdu son mari très jeune mais aussi avec Frith à 34 ans alors qu’elle est enceinte et qu’elle va vivre (par choix) sa maternité seule.
Je ne sais pas ce qu’est le bonheur. Quelque chose que l’on cherche et auquel on s’accroche, mais que l’on perd parce qu’il est comme l’eau filante entre nos doigts. Dans ma vie, le bonheur qui arrive sans crier gare est le seul qui vaille.
Il peut y avoir un silence quand on te dit au revoir. Mais même là, tu entends ton cœur qui bat fort. Ca resonne dans tes oreilles.
On retrouve le formidable talent de conteur de l’écrivain dans la scène de rencontre entre Hayley et son futur mari dans le Bayou ou dans cette histoire dans l’histoire entre deux frères et deux sœurs déroulée sur plusieurs pages et qui interroge les notions de bien et de mal.
La pommeraie est un très beau roman qui oscille entre gaité et tristesse (je ne vous dévoile pas pourquoi), il est de ces livres qu’on déguste plutôt qu’on dévore et qu’on n’a pas envie de finir.
Je voulais vous parler d’une série de dessins autour des fleurs que j’ai commencée il y a quelques jours, d’une newsletter en anglais d’une artiste illustratrice dont je lis chaque phrase avec attention et délectation mais j’ai été déjà bien assez longue alors ce sera pour la prochaine newsletter.
Bon dimanche !
Oh tellement interessant de lire ton avis sur ce roman 😍 ça me donne encore plus envie de le lire (en plus d’autres titres de l’auteur!) 🙏🏻